des médailles oubliées, des podiums inexistants, des pommes en guise de lot… Le manque criant de reconnaissance des athlètes handisports

Des cagettes de pommes, des pots de confiture, des médailles “en récup”, ou encore des podiums remplacés par un vulgaire “2,1,3” inscrit sur la neige à l’aérosol… Ces exemples ne sont qu’une infime partie des situations que vivent les athlètes handisports en compétition internationale. Car si les athlètes gagnent de plus en plus de visibilité et de reconnaissance lors des Jeux paralympiques, les compétitions rythmant les quatre ans entre deux éditions sont loin de donner une équivalence de traitement aux athlètes.

“Nous ne sommes jamais valorisés par rapport à nos résultats. On ne demande pas l’équité entre les athlètes valides et para, ou de toucher des mille et des cents mais simplement d’avoir un minimum de reconnaissance par rapport à nos performances”, dénonçait, excédé, le quintuple champion paralympique de ski de fond et de biathlon Benjamin Daviet mi-février à franceinfo: sport, après avoir reçu une cagette de pommes pour sa deuxième place sur la première étape de la Coupe du monde de paraski nordique et de parabiathlon. Un prix inimaginable chez les valides.

À 200 jours des JP de @Paris2024 et, selon ttes vraisemblances, 6 ans des Jeux d’hiver en 🇫🇷, je vous partage une photo de mon podium à Martell il y a 1 semaine. À mes pieds, une cagette de pommes. Ça, c’est ni + ni – que la récompense des skieurs para qui réalisent des podiums. pic.twitter.com/JR2SGMzfva

— Benjamin Daviet (@DavietBenjamin) February 10, 2024

“Sur certaines étapes de Coupe du monde, on n’a pas l’impression d’être dans une compétition internationale, regrette Arthur Bauchet, octuple médaillé paralympique en paraski alpin à seulement 23 ans. À Steinach am Brenner en Autriche [en décembre 2023], j’ai fait quatre médailles et j’en ai laissé trois à l’hôtel parce que les médailles faisaient pitié… Dans ce cas-là, je n’ai même pas envie de poster une photo du podium sur les réseaux. Ça fait mal au cœur.”

Christian Femy, directeur des équipes de France des sports d’hiver à la Fédération française de handisport et manager de la haute performance, confirme : “Même sur une course U10 du canton régional de la Haute Tarentaise, on n’aurait jamais osé leur donner ce genre de médaille, alors en Coupe du monde…”

“Autant ne rien donner, car cela relève plus de la moquerie”

Le 27 février dernier, lors d’une étape de Coupe du monde de paraski alpin en Autriche, les athlètes de l’équipe de France ont été contraints de s’habiller à l’extérieur, devant un restaurant resté fermé, pourtant censé leur servir de tente pour les athlètes. Parfois encore, ces derniers n’ont pas leur chrono réalisé à l’arrivée, une fois la ligne franchie en bas de la piste. Sans parler du matériel manquant pour entretenir les skis, ou des podiums inexistants. “C’est notre réalité”, admet, fataliste, Arthur Bauchet.

“Un jour, nous avons même reçu en cadeau [pour les athlètes sur le podium], un pochon de noyaux de cerise pour les règles douloureuses. Clairement, ils ne nous respectent pas. Autant ne rien donner, car cela relève plus de la moquerie qu’autre chose”, s’agace le paraskieur, qui ne manque pas d’exemple. “On ne parle même pas d’avoir des prize money [qui sont rares sur le circuit handisport], remarque-t-il encore. Ce n’est même pas ce qu’on demande. Déjà, si on pouvait avoir des médailles ou des trophées potables, ça serait déjà bien.”

Lors d'une des étapes de Coupe du monde en Autriche fin février, les organisateurs n'ont pas installé de podium pour les médaillés. A la place, ils ont inscrit les chiffres

Lors d’une des étapes de Coupe du monde en Autriche fin février, les organisateurs n’ont pas installé de podium pour les médaillés. A la place, ils ont inscrit les chiffres “2,1,3” à l’aérosol, à même le sol. (Arthur Bauchet)

Si ce genre de situation se produit régulièrement sur le circuit Coupe du monde ou des championnats du monde, Arthur Bauchet assure qu’il y a des différences entre les organisateurs : “À Cortina [Italie, fin janvier], nous sommes passés derrière les femmes valides et nous avons reçu les mêmes trophées qu’elles. Pour nous, il s’agit d’une reconnaissance.” Une initiative qui dépend du bon vouloir des organisateurs. Lors des Mondiaux de paraski en 2022 à Lillehammer (Norvège), 1,7 million de couronnes norvégiennes (soit 170 000 euros) avaient été débloquées en prize money pour tous les médaillés. Une première.

“En 13 ans d’équipe de France, avec 36 victoires en Coupe du monde et neuf de champion du monde, les seules primes à la médaille que j’ai reçues remontent à 2022, en Norvège.”

Benjamin Daviet, quintuple champion paralympique de ski de fond et de biathlon

à franceinfo: sport

“Il s’agit d’une initiative de la Fédération norvégienne de ski, de ses partenaires ainsi que du gouvernement norvégien qui nous a soutenus, afin de valoriser les performances exceptionnelles des athlètes”, a répondu à franceinfo: sport Ola Keul, cheffe de l’organisation d’événements, à la Fédération norvégienne de ski. “Il faut que les partenaires, les médias, les détenteurs de droits, la Fédération internationale s’unissent afin de poursuivre ce travail vers plus d’égalité”, appelle-t-elle.

Pourtant considérée comme la Mecque du ski, l’Autriche est, à l’inverse, souvent citée comme un mauvais élève. “Les organisateurs des courses valides sont beaucoup mieux soutenus, que ce soit financièrement ou en termes de savoir-faire, que dans le paraski. Ces derniers sont généralement laissés seuls face aux demandes toujours croissantes”, justifie Hermann Mayrhuber, directeur sportif pour le paraski au sein de la Fédération autrichienne de ski. Avec le risque, selon lui, que les organisateurs se désengagent au fur et à mesure. “Il y a un concours de circonstances entre le manque de retransmissions télévisées, de visibilité et de sponsors. Le problème est avant tout le financement”, appuie Hermann Mayrhuber, qui appelle la FIS à obliger les organisateurs de courses valides à organiser leurs homologues handisports. 

“Ils ont oublié de faire les médailles”

Les sports d’hiver ne sont pas les seuls concernés par ce manque de reconnaissance. “Lors du championnat d’Europe de rugby fauteuil organisé à Paris en 2022, les organisateurs ont oublié de faire faire les médailles. Nous les avons reçues après”, se souvient Cédric Nankin, l’un des joueurs de l’équipe de France. “Avec ces comportements, on nous renvoie notre handicap, comme si la médaille n’avait pas la même valeur chez les athlètes handisports que chez les valides”, argue Perle Bouge, double médaillée paralympique en para-aviron.

“Sur le circuit Coupe du monde [des sports d’été concernés par ce format], c’est encore trop souvent la norme d’avoir des organisations minimalistes, pour ne pas dire dans 90% des cas”, constate Sami El Gueddari, Directeur technique national (DTN) adjoint en charge de la performance et de la stratégie paralympique. Mais tout n’est pas si noir, nuance le cadre fédéral.

“On peut toutefois se réjouir d’avoir des événements sécurisés, avec des organisateurs robustes, et qui savent organiser dans de bonnes conditions. Les Fédérations internationales se structurent.”

Sami El Gueddari, DTN adjoint en charge de la performance

à franceinfo: sport

“Ce manque de visibilité, on le ressent aussi, confirme le paranageur Ugo Didier, double médaillé paralympique à Tokyo en 2021. Là-bas, nous avons eu une exposition exceptionnelle. Mais l’année suivante, la chute a été brutale lors des championnats d’Europe où plus personne n’a parlé de nous.” Toutefois, il reconnaît que, selon son expérience personnelle, l’organisation sur le circuit international a toujours été satisfaisante, et que les athlètes ont toujours été “mis en valeur”. Là aussi, le prize money n’est pas la norme, à l’inverse de la peluche et de la récompense en porcelaine ou céramique. 

La médiatisation, “le nerf de la guerre”

Face à ce constat, chacun cherche des solutions à proposer. Rassembler les compétitions valides et handisport serait-elle une option ? “Ce n’est pas possible, écarte le paranageur Ugo Didier. En handisport, il y a, pour une même course, quatorze catégories, donc autant de courses. Si en plus, on ajoute les valides, cela risque de créer des compétitions interminables en termes de logistique, de transport, d’hébergement et de possibilités dans la piscine. Et en termes de médiatisation, je ne suis pas sûr que l’on soit gagnant.” Toutefois, enchaîner les deux compétitions à une semaine d’intervalle, “pourrait être une bonne idée”, ajoute-t-il.

Le paraskieur Arthur Bauchet partage cet avis : “Nos courses pourraient être programmées après celles des skieuses valides [dont les pistes sont plus faciles à adapter que celles des hommes], ce qui permettrait de surfer un peu sur la vague du circuit féminin qu’il y aurait avant nous. À Cortina, d’ailleurs, ils avaient laissé les installations nécessaires. Cela économiserait des coûts et nous nous sentirions valorisés.” Mais pour Christian Femy, le nerf de la guerre est le manque de communication et de retransmission des compétitions.

“Si on ne parle pas des para-athlètes, personne ne sait que ça existe. Et on n’attire personne. Pourquoi un partenaire viendrait nous apporter un soutien financier, si celui-ci n’est pas visible ?”

Christian Femy, directeur des équipes de France des sports d’hiver à la FFH

à franceinfo: sport

“C’est un cercle vertueux à créer, abonde le DTN Sami El Gueddari. Plus on aura de sponsors qui vont s’associer à l’image de performance chez les handisports, et je parle bien de performance et non pas de s’associer à une image sociale, plus on comblera ce décalage.” Combler le retard signifie aussi ne pas perdre du terrain, une ambition loin d’être évidente. Si auparavant les Coupes du monde de paraski alpin étaient retransmises en ligne, cette logique est de plus en plus rare. “On a fait un petit pas en arrière”, regrette Christian Fémy. Pourquoi ? “À cause d’un problème de gouvernance”, rétorque-t-il.

Jusqu’à l’année dernière, le Comité international paralympique (IPC) officiait comme fédération internationale, et donc gérait les circuits de coupe du monde et des championnats du monde. Mais l’IPC a décidé de laisser la main aux fédérations, comme à la Fédération internationale de ski (FIS) et l’Union internationale de biathlon (IBU). “On a donc été intégrés à la Fédération internationale de ski, dans une structure qui n’était pas encore armée et organisée pour accueillir le milieu handisport. Les choses se mettent en place. Mais pour le moment, ils vivent sur les vestiges du passé, sans grande dynamique de faire bouger les choses”, estime Christian Femy.

Le directeur du paraski aimerait aller plus loin avec un cahier des charges strict, imposant retransmission et prize money : “En somme, que l’on applique la même ligne de conduite entre valide et handi. Ce n’est pas parce que ce sont des sportifs en situation de handicap que l’on doit les sous-estimer, et se dire que ce que l’on propose actuellement suffit largement”, tranche Christian Femy, qui prépare la candidature de la ville de Tignes pour accueillir les championnats du monde de paraski alpin en 2027.

Les Jeux de 2024 et de 2030 en guise de locomotive

L’accueil des Jeux paralympiques d’été en 2024 pour la première fois en France, puis des Jeux d’hiver en 2030 [la France est entrée dans un dialogue ciblé avec le CIO depuis fin novembre] pourrait servir à faire changer durablement les mentalités, notamment grâce à son héritage. “Avec les Jeux, on va davantage médiatiser les compétitions et alors, les organisateurs ne pourront plus se permettre de ne pas mettre de podiums ou d’offrir des cagettes de pommes”, estime Ugo Didier. “Même si tout ne sera pas prêt pour Paris en termes d’accessibilité, les Jeux restent un tremplin. On a lancé les choses, maintenant, il ne faut pas que cela s’éteigne une fois les Jeux terminés, et que nous retombions dans l’inconnu en 2025”, s’inquiète Perle Bouge.

Sami El Gueddari se veut optimiste concernant l’héritage médiatique des Jeux. “Jamais on aura autant diffusé des sports paralympiques en France. Pour la première fois, on est en France, avec un traitement unique médiatique, et sans décalage horaire. Ce sera donc un vrai test grandeur nature.” Si le DTN adjoint en charge de la performance est aussi confiant, c’est qu’il a en tête les effets des Jeux précédents. “Partout où les Jeux sont passés, il y a eu un changement sociétal profond. Tant sur le traitement de l’information, sur les athlètes portés en égéries, et les partenaires qui s’associent à l’écosystème sportif. Il y aura, c’est certain, un avant et un après Paris 2024.”