Education: quel futur pour l’université face à la tech?

En trois jours, au début du confinement, l’Education nationale a accompli la révolution numérique qu’elle n’avait pas réussi à amorcer en une décennie. La crise sanitaire du Covid-19 aura au moins eu cet effet salutaire de bousculer la vieille institution. Au niveau planétaire. “L’éducation n’a pas évolué depuis 50 ans, seule la couleur du tableau a changé”, estime Marie-Christine Levet, entrepreneuse et fondatrice d’Educapital, le premier fonds européen de capital-risque entièrement dédié à l’éducation, qui participait à la quatrième session du live event France vs. California consacrée au futur de l’éducation. Gregory La Blanc, professeur à la business school Haas, à l’Université de Berkeley, est bien plus sévère : selon lui, rien n’a changé depuis l’université de Bologne au XIIIe siècle : “Nous faisons pratiquement la même chose et à l’époque on pensait que le soleil tournait autour de la Terre et que la Terre était plate”.

Gregory La Blanc se considère lui-même un pionnier dans la transformation digitale des systèmes éducatifs. Il a fait sa première classe en ligne en 2001 et donné son premier cours à distance à Berkeley en 2011. Il a pu mesurer la grande réticence au changement, tant du côté des entreprises que des institutions. Et aussi la déception des étudiants : pourquoi dépenser 150.000 dollars pour un MBA que je vais suivre depuis mon salon, devant ma télévision.

Compagnies agiles

“Accor n’a pas inventé Airbnb, et SNCF n’a pas créé Blablacar, tranche Marie-Christine Levet. Le changement viendra de compagnies innovantes, plus agiles”. Et pas seulement des start-up. Quelques poids lourds de la tech vont percer dans ce domaine, comme LinkedIn, qui a accès à une multitude de données que recherchent les recruteurs. Pas question de supprimer les universités, assurent les deux spécialistes. Mais le modèle économique va changer.

Très à l’aise dans la métaphore et le storytelling, Gregory La Blanc se souvient de sa première calculatrice HP, achetée en 1981, quand il avait 14 ans et qu’il utilisait encore vingt ans plus tard. Aujourd’hui, un téléphone est obsolète en un an. “Autrefois, vous alliez à l’école et vous pouviez vous reposer sur ces acquis pendant 30 ans, explique-t-il. Aujourd’hui, l’enseignement est dépassé avant même vous n’obteniez votre diplôme”. Pour survivre, les universités doivent inventer des modèles permettant de se former toute la vie.

Selon le professeur de Berkeley, les institutions actuelles sont organisées pour faire fonctionner les anciens modèles. Et elles ne partagent pas la donnée, elles ne communiquent pas sur leurs résultats financiers, elles ne travaillent pas ensemble… “Nous passons quatre ans avec un élève auquel nous attribuons une note et une lettre de recommandation, soupire-t-il. Quand un recruteur vient à l’université nous lui donnons 3 bytes de données. Et si je vais sur Facebook j’obtiens mille fois plus d’informations sur la même personne”. L’université devrait pouvoir fournir à un employeur 10 gigabytes de données sur un élève : comment il interagit avec les autres, comment il apprend sa capacité à diriger… “Le plus souvent, l’étudiant est le produit, lâche-t-il. Mais nous n’apportons pas beaucoup de valeur au vrai client final : le recruteur”.

Apprentissage pur

Et Gregory La Blanc va plus loin. Selon lui, le rôle du professeur est “surévalué” : les gens peuvent apprendre grâce à la technologie. Grand fan de projets basés sur l’apprentissage pur, sans professeurs, il voudrait que les modèles comme l’école 42 puissent se développer à grande échelle. Il travaille actuellement avec Kwame Yamgnane, cofondateur de 42 dans la Silicon Valley, aujourd’hui patron de la plateforme Qwasar, à Palo Alto, pour déployer le modèle mondialement.

Marie-Christine Levet est plus prudente sur l’évolution du modèle, surtout s’il s’agit de l’appliquer en France. “La technologie ne remplacera pas les professeurs, assure-t-elle. Le changement se fera aussi avec l’école et les professeurs, en collaboration avec les start-up”. Et c’est bien ce dernier point, accorde-t-elle, qui risque de poser le plus de difficultés.